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Le Japon d'une sang-mĂȘlĂ©e

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Par Manon Natsumi
10 sept. · 4 mn à lire
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Utilisez bien vos baguettes

ou la mort

AprĂšs la lecture de cette newsletter, vous ne planterez plus jamais vos baguettes dans le bol de riz sans vous en vouloir un peu. Vous ne commettrez jamais l'impair de prendre le mĂȘme morceau que quelqu'un dans un plat Ă  partager et vous ne vous servirez encore moins de baguettes de diffĂ©rentes tailles ou styles, qu'elles soient cassĂ©es ou non. (Enfin, j'espĂšre !) Je vais vous Ă©viter pas mal de malaises et de rires gĂȘnants.

Trigger Warning : Cette newsletter est en deux parties. Dans la seconde, je vous parle des funérailles au Japon à travers l'expérience que j'ai eu de celles de mon grand-pÚre.
Je prĂ©fĂšre la mettre en fin de newsletter avec des explications vocabulaire et peut-ĂȘtre plus joyeuses en amont.

La plupart de mes newsletters sont personnelles et gratuites. Je fais exception pour celle-ci et pour la partie éditoriale/histoire (trÚs) personnelle. J'espÚre que vous comprendrez. Vous abonner ce n'est pas seulement pour accéder à des contenus exclusifs, c'est aussi et surtout un moyen de me soutenir en plus de profiter de quelques avantages. J'inverse donc cette newsletter avec les petites rubriques en premier et mon témoignage personnel de Half aprÚs.


đŸ„ą Les baguettes : (O)hashi
Vous vous dite peut-ĂȘtre : "c'est bon les baguettes, je sais ce que c'est, je sais mĂȘme super bien les utiliser" (testez de finir tous les grains de riz sans exception dans un bol avant de faire le.la malin.e quand mĂȘme, en plus ce n'est pas poli du tout de laisser un grain de riz dans son bol 😘)

Pourquoi ne pas planter les baguettes dans son bol ?
Quand je vais au Japon dire bonjour aux voisins ou à une connaissance de ma grand-mÚre qui ma connue "haute comme ça" et dont je ne me souviens évidemment plus trÚs bien, il faut parfois aller dire bonjour aux anciens, aux morts. On va alors en général se recueillir devant le butsudan, allumer et planter deux petits bùtons d'encens, entre autres rituels.
Planter ses baguettes dans son bol de riz, c'est alors faire référence à ces deux bùtons d'encens.
Le "butsudan" est une sorte de mini temple bouddhiste placé à la maison pour se recueillir. Version Shintoïste, on appelle ça plutÎt le "kamidana", mais on ne fait pas brûler d'encens.

Pourquoi ne pas utiliser des baguettes de tailles différentes
et ne jamais prendre le mĂȘme morceau que quelqu'un dans un plat Ă  partager :
Pour des raisons évidentes de praticité et d'hygiÚne ? Oui pourquoi pas. Fin, on parle d'un plat à partager donc de toute façon nous ne sommes pas ici présents dans un contexte trÚs "covid friendly".
Non, c'est surtout parce que ce geste peut rappeler un rite funéraire, oui encore !
AprĂšs la crĂ©mation, on observe les os de la personne dĂ©funte. Les membres de la famille proche vont se mettre de part et d'autre de la table qui rassemble les os, et Ă  deux, prendre un bout d'os avec de longues baguettes rituelles de tailles inĂ©gales et mettre ensemble ce mĂȘme morceau dans l'urne dĂ©diĂ©e. Pour aller encore plus loin dans les dĂ©tails, une baguette serait en bambou et l'autre en bois de saule. Cela symboliserait le pont entre les deux mondes.


đŸȘŠMalgrĂ© ce peut sembler transmettre mon tĂ©moignage, la mort est assez magnifiĂ©e au Japon.
Comme en occident et ailleurs, on peut mĂȘme y voir sa beautĂ©. Celle des cimetiĂšres par exemple. Je pense particuliĂšrement Ă  celui d'Inari. Vous le connaissez sĂ»rement dĂ©jĂ  : dans les collines tout autour des diffĂ©rents sanctuaires, ses centaines et sĂ»rement milliers de tori rouges.⛩ Il y en plein d'autres. Dans des forĂȘts, des parcs... Pour les plus parisiens d'entre vous, ce sont un peu nos "PĂšre Lachaise" nippon oĂč il peut faire bon se balader.

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(CréditPhoto  : Matteo Colombo)(CréditPhoto : Matteo Colombo)
Les Tori d'Inari à coté de Kyoto.
Toutes ces écritures n'ont en général rien de trÚs spirituel, ce sont souvent des entreprises ou des familles qui font des donations et veulent de la visibilité (religion capitaliste ? On en reparle)


J’étais Ă©tonnamment en train de courir.
Je ne cours jamais, alors ça voulait bien dire que quelque chose n’allait vraiment pas. 
En plus, il faisait extrĂȘmement froid. Quelle idĂ©e d'aller courir un matin en fĂ©vrier un lendemain de jour de neige.

Je crois que ma mĂšre m’a appelĂ© directement sur mon portable. LĂ , j’ai compris qu’est ce qui n’allait vraiment pas. Ce n’était pas le fait que je me mette au sport. Elle m’appelait sur mon portable en direct du Japon. Au prix que ça coĂ»te. Je ne sais plus ce qu’elle m’a dit, mais j’avais compris avant de dĂ©crocher.

Ojjichan, mon grand-pĂšre japonais, Ă©tait mort.

Mon pĂšre avait insistĂ© pendant des semaines pour que ma mĂšre aille au Japon plus tĂŽt que prĂ©vu cette annĂ©e. Il ne voulait pas qu’elle manque ça. Le dĂ©part de son pĂšre. Qu'elle ne regrette pas. Il est mort quelques jours Ă  peine aprĂšs son arrivĂ©e. Comme s’il l’attendait. Dans l’idĂ©al, il voulait que j’y aille aussi. J’attendais les vacances de fĂ©vrier.J’étais en terminale et je prĂ©parais des concours. C’était difficile de rattraper les cours.
On est parti le lendemain au Japon.

La petite maison était méconnaissable. Enfin surtout le salon, la piÚce principale, la seule piÚce chauffée en permanence ou presque. C'est classique dans une maison japonaise traditionnelle.
La piĂšce Ă©tait recouverte d’un tissu argentĂ©. Tous les murs, mĂȘme le plafond.

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